OH LUMIÈRE / OH LIGHT— 2012
Mai-juin 2012
La troisième paupière
Texte de Nathalie Quintane écrit à l’occasion de l’exposition et ayant fait office de communiqué de presse.
Poursuivre en galerie une flânerie qu’on aurait commencé en ville, à la manière hésitante, mais fluide, ou peut-être empêchée, mais décidée, qu’a eu Boris Achour de déposer des œuvres sans jamais les installer – sans rien qui pèse ou qui pose -, traverser encore une fois l’espace de l’art – ce lieu parfois si posant et si pesant – en danseur, doté d’un masque de lune, en patient lunaire plus qu’en docteur de la lune, voir chaque pièce comme l’élément d’une promenade sans conditions, comme le relais d’un parcours à (r)établir soi-même rétrospectivement, quand la marche est finie et qu’on s’en remémore les détails, les surprises, les banalités merveilleuses – un feu de camp mikado, un gyrophare dans un sac plastique, un somme sur une haie taillée…
En somme, une visite-poème ? Un repos du guérillero ? La Rose sans pourquoi de Silesius et d’Achour dans une exposition précédente n’était pas celle prisée des commentaires philosophiques et littéraires des années 70 ou 80 : c’était une rose extra-terrestre, une créature descendue là où personne n’était plus en mesure de la reconnaître, et donc rincée de tout souci poétique, de leçon, de grammaire, une espèce de rose sauvage et très disciplinée, découpée aléatoirement et pourtant selon ses vers, mystique et désuète – une rose future.
Le poème d’Eluard/Godard que le visiteur de la lune lira n’est ni d’Eluard ni de Godard : lyriquement musiqué dans Alphaville, fasciné par le visage d’Anna Karina, par son passage de la lumière à l’ombre – cette hypnose, ce rappel languien d’un amour-menace -, il est aussi tombé là d’une planète autre, brutalement aplati par sa chute et dans le même mouvement relevé par un brillant dérisoire et touchant.
On pourrait déduire que l’œil du patient lunaire, en visite, demande à être fermé au Crédac, lieu nocturne, et ouvert chez Vallois, diurne (ou l’inverse!). L’art d’Achour serait plutôt nictitant, comme la troisième paupière des oiseaux de nuit, qui préserve l’œil d’une lumière trop vive par un clignotement constant. Les Black Hole Sun qu’on verra renvoient à un « monument » possible aux œuvres non-faites dans une œuvre cependant là et bien là. La forme des choses à venir ne peut être dite que dans une forme présente, et le mieux à même de la dessiner n’est pas le chasseur dans sa nuit, mais un danseur qui fasse résonner le sol par intermittence, un danseur de claquettes qui ne se tiendrait ni dans le jour ni dans la nuit, perpétuellement entre les deux, de l’un à l’autre et de l’autre à l’un, sans repos, saturation des sons et silence parfait se succédant à la vitesse de la lumière.
Mars 2012
May-june 2012
The Third Eyelid
Text written by Nathalie Quintane as a press release on the occasion of the show.
Rambling through the city then uninterruptedly through a gallery – dubiously but gracefully, or maybe awkwardly but decidedly, the way Boris Achour does, dropping his work off without installing it – neither showing nor showing-off – slipping through an artspace (sometimes a place for showing and showing off) like a dancer in a moon mask – more moonchild than man in the moon – and seeing each exhibit as part of an unfettered outing, a stopover on an itinerary to be (re)appraised retrospectively, looking back on the details, the surprises, the marvellous everyday tweakings – the jackstraws campfire, a flashing beacon in a plastic bag, a nap on a neatly trimmed hedge… So, a visit as poem? A well-earned rest? Angelus Silesius’s “Rose without why” poem reprised by Achour in an earlier exhibition was not the rose prized by 70s/80s gurus and glitterati: this was an extraterrestrial rose, alighting where there was no one left able to recognise it, a creature thus cleansed of all poetic or scholarly or grammatical anxieties, a kind of wild yet highly disciplined rose-poem, cut up randomly but line by line, mystically antiquated – a rose-to-be. The Éluard/Godard poem the visitor from the moon will read here is by neither of them: lyrically put to music in Alphaville, fascinated with Anna Karina’s face and its transition from light to shade – a kind of hypnosis, a Fritz Lang reminder of the love/danger binomial – it too has fallen from another planet, brutally pulped by its fall then instantly resurrected by a touchingly meagre flash of brilliance. We might deduce that the visiting moonchild’s eye asks to be closed nocturnally at the Crédac Art Centre and opened diurnally at the Vallois gallery — or vice versa. The art of Boris Achour can be seen as on-again off-again, like the third eyelid whose constant blinking protects night birds from sudden dazzlement. Black Hole Sun II evokes a “maybe-monument” to the never-made works that are part of a very real oeuvre. The shape of things to come can only be told in terms of the present; and the person best equipped for the telling is not the hunter in his darkness, but a dancer making the floor ring out on-again off- again, a tap dancer belonging neither to day or night, but perpetually between the two, endlessly oscillating as sound saturation and perfect silence alternate at the speed of light.
March 2012