CONATUS : A FOREST (SCRIPT) — ÉMILIE RENARD — 2008

Publié dans Art & Research, Montehermoso Cultural Center, Vitoria, Espagne, 2009

 

SCÈNE 1 – Une introduction.
EXT., UN DOCUMENT IMPRIMÉ
Personnage 1 :
« Bienvenue à A Forest. J’en fais partie, comme les autres, comme vous. Ici, on m’appelle la Femme à la Cape. Il y a une histoire derrière ce nom. Il y a beaucoup d’histoires dans A Forest. Certaines d’entre elles sont tristes, certaines sont gaies. Certaines sont des histoires de désir, de plaisir et de folie. Certaines sont ordinaires. Cependant, il existe pour chacune d’elles un mystère – le mystère de la dispersion et de la création, le mystère du Conatus – le désir comme force motrice, selon Spinoza. Et aussi le mystère de la conversion des énergies en formes, le mystère de l’obscurité qui baigne les bois et la création.
Pour introduire cette histoire, laissez-moi juste vous dire qu’elle les contient toutes – qu’elle continue au-delà des bois et que rares sont ceux qui en connaissent le sens. Cette histoire est aussi celle de beaucoup, mais débute avec cinq et je suis l’une d’entre eux. Nous portons tous des capes sombres. Cela vous fait-il peur ? Pas moi. Sachez aussi que nous portons tous, dessous, des vêtements colorés. Mais cela viendra plus tard. Observez et regardez ce que la vie nous apprend. Parfois, les énergies comme les hommes débarquent et disent « bonjour ». Elles se présentent, ces énergies, avec des mots, des mouvements, des signes, des couleurs ou des formes. Ces énergies parlent de façon si étrange. Tout ce que nous voyons dans ce monde est fondé sur l’énergie de quelqu’un. Certaines énergies sont destructrices, certaines sont constructives. Certaines énergies peuvent apparaître sous la forme d’un rêve. Je peux le dire encore une fois : certaines énergies apparaissent sous la forme d’un rêve. »

 

SCÈNE 2 – Une traversée.
EXT. NUIT. UNE FORÊT
Personnage 2 :
« Comment se déplace-t-on dans la pénombre d’un entrelacs de tiges ? J’ai ma part à jouer ici. Traverser une vaste plaine ne m’aurait pas été d’un plus grand secours : quelle que soit sa densité, l’obscurité est hostile et freine toute avancée. Mais parfois, l’épaisseur du désordre est préférable à la vide monotonie de l’ordre qui nous attend au-delà. À l’issue de cette traversée, je me souviendrai du chemin parcouru comme d’un lent passage solitaire vers la lumière trop violente d’une communauté nouvelle : c’est là que je devrai passer à l’acte. »

 

SCÈNE 3 – Une révélation.
EXT. NUIT. CLAIRIÈRE. UNE PYRAMIDE DE LUMIÈRE ET UNE DANSE
Personnages 1, 2, 3, 4, 5 :
« Lentement, notre groupe se forme, attiré par l’irradiation blanche d’une pyramide électrique. Ce mouvement concentrique remplit le silence environnant. Lorsque nos cinq corps se réchauffent à cette lumière géométrique, une tension grandit en nous. Nous voulons nous oublier, nous ne voulons plus être nous-mêmes, nous voulons danser ensemble. Nous savons que ce n’est qu’une solution temporaire à notre excitation, mais parfois, les solutions temporaires sont les meilleures. Nous nous souvenons de nos rondes d’enfants, de nos pas cadencés d’Indiens, de nos rythmes d’Africains. Les gestes esquissés par les uns sont amplifiés par les autres. Notre danse improvisée inonde l’espace autour. Elle est colorée. Le bois pourrait bien brûler maintenant et son épaisse fumée laisser place à des flammes franches, nous applaudirions. Nous célébrons cette énergie nouvelle qui nous possède en même temps que nous l’alimentons. Nous nous sentons vibrer sur cette terre. Ensemble. »

 

SCÈNE 4 – Une conversion.
EXT. NUIT. CLAIRIÈRE. APRÈS LA DANSE
Personnage 4 :
« Au summum de notre ardeur, je suis prise d’une sensation crue, forte et neuve. Je bous littéralement, envahie par une poussée architecturale. L’ultime étape de notre stimulation collective approche. Nous sommes arrivés à un point de non-retour et nous risquons de disparaître ici. C’est pourquoi quelque chose doit sortir de tout cela. Quelque chose, mais quoi ? Et alors qu’il n’y avait plus place ici pour aucun d’entre nous, me voilà seule à nouveau. Je suis la première à sortir. Les autres viendront après moi, un à un. Je pourrai ensuite observer la scène tout en faisant semblant de jouer vraiment. Je sais qu’un homme saoul marche d’une manière qui est presque impossible à imiter par un homme sobre, et vice-versa. Je suis sobre maintenant. »

 

SCÈNE 5 – Une fin.
EXT. NIGHT. UN PAYSAGE, CINQ SCULPTURES, UN FILM
Personnage 5 :
« Tout est calme. Rien ne sera plus comme avant. Des sculptures sont apparues. Cinq petites choses fragiles, mais denses. Nous sommes comme des pionniers partis à la conquête d’un territoire, mais qui auraient trouvé un trésor juste sous leurs pieds. Nous avons aimé chercher un trésor, nous avons créé sur place des promesses d’avenir : cinq systèmes matériels, cinq puissances d’être, cinq principes d’extension. Nous sommes heureux aussi d’avoir pu dire nous, pendant un temps. Épuisés mais pleins d’une énergie nouvelle, nous quittons ce décor et laissons-là nos accessoires, la forêt et notre feu de camp, notre quête, notre danse et nos jeux, nous laissons derrière nous ce paysage qui témoignera des métamorphoses de notre énergie collective. Nous quittons cette machine créatrice en veille et nous nous promettons d’en construire d’autres ailleurs.

 

Et maintenant, une fin. Là où il y eut un seul, restent désormais des doubles. Comment passer de cinq à un seul puis à cinq ? S’agit-il d’une conversion ? D’un reflet ? D’une façon de voir double comme une personne saoule ? Ou bien n’y a-t-il jamais eu que des doubles ? Pourquoi dans les reflets, apparaît-il toujours une chose plutôt que rien ? »