IN & OUT, OUT & IN : LET THE SUNSHINE IN! — MARIE FRAMPIER — 2008

Publié dans lel catalogue de l’exposition Valeurs Croisées, Rennes, 2008

Boris Achour, artiste coyote qui s’auto-stoppe, jeune français malencontreusement narcoleptique dans les jardins des quartiers résidentiels de Los Angeles ou doux guérillo colombophile ? L’œuvre de Boris Achour est par définition indéfinissable, protéiforme et multiple.
Depuis 2005, l’artiste développe la série Conatus, au sens de série télévisée, dont chaque exposition est un nouvel épisode. Dans le cadre de sa résidence au sein de l’entreprise Diana Ingrédients, Boris Achour crée un nouvel opus : Conatus Sunrise. Le conatus, concept spinozien de l’idée du désir comme force motrice, propension à persévérer dans l’être. «Conatus» signifie littéralement «effort» mais est issu de «conati», traduit par «entreprendre». Le conatus, l’idée du désir comme puissance d’action, serait donc intrinsèquement lié à l’entreprise – a minima en tant que substantif du verbe «entreprendre»?
Entre prendre et mettre. Entre prises et actes. Entreprendre et entremettre, pendant les «entractes» de l’entreprise, tel fut le terrain commun d’expérimentation de Boris Achour et Diana Ingrédients.
Prises de vue et prises en main. Mises en actes et mises au pli. Plein de plis. Froissés comme la boule de papier jaune qui surgit de l’un des écrans, entre deux lettres, entre deux images.

Conatus Sunrise est une œuvre où fond et forme se mêlent et se complètent, avec une absence de hiérarchies explicite. La forme globale de l’œuvre, proche de celle d’un cristal, est élaborée grâce à un matériau rudimentaire et a priori peu esthétique (plaques de polystyrène extrudé). En son sein, cinq moniteurs diffusent autant de séquences qui réunissent des images d’origines très différentes. Des vues de l’unité de production côtoient un lever de soleil, extrait de You Tube, diffusé en accéléré et en boucle; au centre, filmé en nightshot, le visage d’une enfant endormie, dont seuls les tremblements de paupières attestent d’un sursaut de vie. Un univers latent se dessine, entre éveil et réveil, entre fiction et réalité. Lever de soleil en noir et blanc. Enfant immobile. Entreprise aseptisée, mécanisée et vide cristallisé. Absence de vie, absence d’actions.
Jean Baudrillard, dans Le Système des objets 1 , traite de «ce monde systématique, homogène et fonctionnel, de couleurs, de matières et de formes, où est partout non pas niée, mais désavouée, démentie, omise la pulsion, le désir, la force explosive de l’instinct». Dans Conatus sunrise, le désir semble en effet absent, parce que privé de sujet conscient en lequel habiter et croître. Mais le désir, dans son acception spinozienne, n’aurait-il pas évolué aussi vite que la société de croissance, de production de biens et de besoins ? Le conatus semble projeté, réactivé dans l’univers entrepreneurial, dans les machines de production qui sont, plus ou moins consciemment, avec fierté ou dégoût, non pas utilisées comme prolongement – fonction de l’outil – mais vécues comme reflet de l’homme postmoderne. Baudrillard explique que «les objets techniques exercent une fascination différente en ce qu’ils renvoient à une énergie virtuelle, et sont ainsi non plus réceptacles de notre présence, mais porteurs de notre propre image dynamique.2» Le conatus apparaît ainsi dans l’entreprise, et au travers de chaque image, en négatif.
Mais le soleil se lève ! Le désir jaillit de l’absence de désir et s’épanouit dans le processus de création, qu’elle soit sculpturale, philosophique ou onirique. L’œuvre de Boris Achour met en exergue une démarche d’expérimentation formelle et intellectuelle certaine, accorde la primauté à l’action au-delà de l’illusion des résultats quantifiables. Poser des questions sans imposer de réponses, «injecter de la fiction, des hypothèses, des points de départ et non d’arrivée. Déplier plutôt que rabattre.3»
Processus vital, le conatus se forge et nous construit, même à l’état de projection ou de rêve. Dedans et dehors, dehors et dedans. Et dedans et dehors. Et dehors et dedans. Conatus sunrise: let the sunshine, let the sunshine in!

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1.Jean Baudrillard, Le Système des objets, Gallimard, «Tel», 2007, p.88.
2.Ibid
3.Boris Achour, «Dream Team», in Trouble, n°5, 2005, p.21.