LE MYSTÈRE DE LA ROSE — RAPHAËL BRUNEL — 2009

Publié dans la revue 02, hiver 2009/2010, n°52

 

Conatus – Episode 6 : La rose est sans pourquoi
Résumé :
Après avoir traversé une forêt inquiétante, exploré les parois d’une grotte aux reflets pop, fondé une communauté masquée dans un Lot aussi psychédélique que sauvage et croisé en pleine nuit un danseur de claquettes, Boris Achour fait à Reims la rencontre mystérieuse d’une rose du XVIIe siècle qui, comme toute vraie beauté, clame son indépendance. Du côté des personnages : les mobiles ne le sont pas vraiment, les pochoirs ont été façonnés par des géants et la végétation est en polystyrène extrudé.

Ce qui suit révèle les moments clés de l’intrigue

 

Depuis 2006, Boris Achour travaille à une forme de temporalité de l’exposition qui s’inspire du découpage séquentiel de la série télé. Chaque événement prend l’allure d’un épisode qui fonctionne, avec titre, décor et personnages spécifiques, comme un élément autonome tout en étant toujours amarré, par un système d’hyperliens, de rappels et d’associations parfois incongrus, à la nébuleuse logique de Conatus. Dans L’Ethique, Spinoza décrit le conatus comme la volonté de persévérer dans son être et fait du désir et de la passion des forces motrices et créatrices, induisant ainsi une idée de dynamique, de montée en puissance par étapes. En se plaçant sous l’égide de ce concept, Boris Achour cherche moins à illustrer à tout prix un propos philosophique sur la création – somme toute banalisé – qu’à y déceler un mode opératoire évoquant l’épisodage de la série télé. Si l’hétérogénéité de ses œuvres a largement été commentée depuis une quinzaine d’années, l’idée de conatus lui permet d’unifier ou en tout cas de faire cohabiter les paradoxes et les contraires mis en jeu dans sa pratique artistique.

Le titre de cette exposition-épisode reprend le premier vers d’un poème du XVIIe siècle composé par le théologien et poète allemand Angelus Silesius. Comme le souligne justement Bernard Marcadé dans le fanzine qui accompagne l’exposition, il serait vain de chercher à expliciter les raisons qui ont poussé Boris Achour à employer ce court poème, de lui attribuer une réelle raison d’être. Il s’offre pourtant comme un miroir d’une certaine approche de l’art, en replaçant en perspective la question, presque anachronique et ringardisée, de l’autonomie de l’œuvre. Et c’est bien là, sur les pentes savonneuses de l’ambigüité, que l’artiste se révèle le plus à l’aise et endosse avec un certain équilibre la position pour beaucoup inconfortable d’avoir le « cul entre deux chaises ». Car s’il semble exprimer une œuvre ne valant que par elle-même, il met également tout en jeu pour proposer une exposition aux allures de paysage, dans lequel le spectateur doit se promener, déambuler, tourner et retourner pour apprivoiser ce qui l’environne. Le travail de Boris Achour se présente ainsi comme un entre-deux permanent, qui relève moins d’un non-choix que de la volonté d’éviter tout autoritarisme.

Les personnages que l’on croise à Reims se révèlent tous plus ou moins atteints par une douce schizophrénie. Possédant leur propre source lumineuse, les mobiles sont constitués d’éléments disparates, produits standardisés comme matériaux pauvres, qui traduisent moins la tentation de Boris Achour pour une esthétique Low Tech artificielle que sa connivence avec le principe d’équivalence de Robert Filiou et une forme de pragmatisme d’atelier. Aucunement cinétique et plutôt immobile, ces mobiles apparaissent en fait comme un ensemble de balances sous-pesant des formes a priori inconciliables. Les grands pochoirs, qui ponctuent l’espace du Frac et fonctionnent comme autant de point d’entrée ou comme les placards d’un film muet, ont aussi leur part de mystère. Apparemment déjà utilisés, ils renvoient autant à la taille colossale de leur manipulateur imaginaire qu’à un hors-champ de l’exposition, un endroit tenu secret où auraient été bombés les vers du poème de Silenius. Semblant illustrer plus littéralement la rose, des fleurs stylisées se déploient dans l’espace en déposant un étrange parfum d’aridité qui contraste avec la diversité, de la plus sobre à la plus pop, des couleurs de leurs vases.

Pur objet d’évocation, ce poème permet à Boris Achour, comme à son habitude, de mettre en tension les objectifs a priori contradictoires d’unité et d’ensemble, d’aller et venir de l’un à l’autre, dans un mouvement qui s’apparenterait pour beaucoup à l’absurde, comme le personnage de Gombrowicz dans Cosmos pour qui un moineau pendu, la bouche de Catherette et celle de Léna participent d’une étrange constellation à déchiffrer.