ENTRETIEN AVEC ÉRIC MANGION
2004
Publié dans la revue Semaine, éditions Analogues, 2004
ERIC MANGION : Sommairement, on peut suggérer que Cosmos est un vidéo club. Pourtant, une fois attention portée à sa forme et à son contenu, il semble plutôt que l’on soit dans un trompe l’œil ou un simulacre de vidéo club, plus qu’un «magasin» en tant que tel.
BORIS ACHOUR : Le terme de simulacre me gêne doublement. Tout d’abord parce qu’employé dans le champ de l’art, il me semble impossible d’éviter d’y associer le nom de Baudrillard, dont je ne partage absolument pas les thèses sur une prétendue fin du réel et de l’art. Ensuite, de manière moins anecdotique, trompe-l’œil ou simulacre renvoient à l’apparence, à l’illusion, à une réalité cachée qui serait extérieure à l’œuvre, voire complètement inexistante. Or, malgré l’absence de cassettes dans les boîtiers, donc malgré l’inexistence des films annoncés par les jaquettes, il n’y a pour moi absolument pas de tromperie. Il ne s’agit pas de faire un «faux» vidéo-club, ni de déplacer une forme ready-made à la manière d’un Guillaume Bijl, mais d’utiliser et de combiner des formes pour leurs potentiels plastiques, culturels ou symboliques. Cosmos est avant tout une sculpture par assemblage, qui combine divers éléments. Le vidéo-club est l’un d’eux, et il joue le rôle, non pas d’un objet ou d’un lieu qui serait représenté, mais celui d’un générateur de formes plastiques et sociales, d’ordre et de classement.
EM: Que faut-il comprendre par sculpture par assemblage ? Et quels sont ces divers éléments combinés ?
BA : Pour répondre à cette question, il est nécessaire de mentionner le roman éponyme de Gombrowicz, qui est à l’origine du Cosmos dont nous parlons, et de commencer à parler des rapports entre les deux. (Pour plus de clarté, j’écrirai «Cosmos» le roman de Gombrowicz, et Cosmos, le mien). «Cosmos» est un roman qui raconte et qui expérimente dans son écriture la mise en relation en tant que telle, en même temps que l’impossibilité d’en déduire du sens. L’auteur assemble et combine les faits, les figures, les styles, les morceaux de corps, les personnages, dans un texte qui s’apparente au roman à énigme de type Agatha Christie, sans que jamais ne vienne d’élucidation, sans que jamais ne soit possible d’interprétation du monde. «Cosmos» (qui signifie “ordre“ en grec) matérialise la fin du positivisme, la mort de Dieu et l’impossibilité de toute synthèse. Mais il matérialise tout cela avec humour, jubilation et férocité, et en prouvant malgré cette impossibilité, qu’il est envisageable de continuer à proposer ce que Gombrowicz appelle une «tentative d’organiser le chaos», tentative qu’on peut également appeler art. Pour conclure cet aparté, je dirai que la découverte de Gombrowicz et particulièrement de «Cosmos» et de «Ferdydurke», est entrée en résonance avec beaucoup de mes travaux et de mes préoccupations. Et donc, ayant décidé d’expérimenter ce que pouvait être une adaptation d’un roman sous une forme plastique, il était normal que la forme et la méthode de construction de cette adaptation soit reliée à celle de l’objet adapté. C’est ainsi qu’on en arrive à ce terme de «sculpture d’assemblage». Il serait d’ailleurs plus juste de parler de copié-collé, puisque toutes ces jaquettes ont été réalisées à l’aide des logiciels informatiques Photoshop et Illustrator, couramment utilisés par les graphistes, et que les images utilisées ont quasiment toutes été trouvées sur Internet. Il y a donc assemblage, ou copiage-collage d’éléments hétérogènes à l’intérieur de chaque jaquette (photos d’acteurs, d’artistes, d’amis, de philosophes, de musiciens, etc., mais aussi éléments typographiques, dessins, textes). Il y a ensuite également assemblage des jaquettes entre elles, par création de liens formels, visuels, par réutilisation d’images, de motifs, de logos. Mais cette notion d’assemblage, de «faire aller ensemble» se retrouve également dans la combinaison de formes se référant à certaines œuvres minimales ou conceptuelles avec des formes issues de la culture populaire.
EM : Quelles sont ces références à des œuvres minimales et conceptuelles, et en quoi Cosmos leur fait-il écho ?
BA : Il y dans Cosmos un fonctionnement relevant du fractal, dans la mesure ou certains éléments structurels de la pièce se retrouvent à différentes échelles. Par exemple, un artiste dont j’aime énormément le travail comme Lawrence Weiner, peut être présent de différentes manières. Il peut se retrouver acteur d’un des films Cosmos, la forme de ses écritures murales peut être utilisée comme élément graphique d’une jaquette, ou bien encore, comme l’a analysé Émilie Renard la forme même de Cosmos peut être envisagée comme la réalisation du statement Weinerien « DE NOMBREUX OBJETS COLORÉS PLACÉS CÔTE À CÔTE POUR FORMER UNE RANGÉE DE NOMBREUX OBJETS COLORÉS ». On pourrait toujours rester avec Weiner en disant que l’aspect potentiel des films de Cosmos renvoie à sa formule disant qu’il est équivalent que l’œuvre soit réalisée ou non. D’un point de vue plus formel, la longue étagère de 40 mètres qui contient les 200 boîtiers possède une certaine ressemblance avec des structures de Judd ou de Lewitt. Mais un Judd ou un Lewitt déjà réinterprétés depuis longtemps par les architectes d’intérieur de magasin de fringues ou par les fabricants de meubles en kit. D’une manière générale, je ne fonctionne pas par références directes à d’autres œuvres ou artistes, mais plutôt par intégration et digestion lente d’éléments variés, dont l’art contemporain n’est qu’une des composante. J’appréhende ces éléments très divers, avec la volonté de déhiérarchiser non pas les œuvres ou les artistes, mais les signes visuels et culturels qu’ils produisent en même temps que leurs œuvres. Donc, plus que des références à telle ou telle sculpture minimale ou proposition conceptuelle, c’est à leur transformation en signes culturels que Cosmos me semble faire écho. Pas tant pour le déplorer d’ailleurs, que pour essayer de dépasser le constat et d’en jouer.
EM : Il est frappant de constater que Cosmos privilégie les jaquettes plutôt que les contenus. Cela fait-il partie de cette volonté de «déhiérarchiser non pas les œuvres ou les artistes mais les signes visuels et culturels qu’ils produisent» ?
BA : En effet, un film est habituellement considéré comme plus important que son affiche ou que la jaquette de son boîtier vidéo, et il y a donc ici une inversion du rapport œuvre/emballage. Renverser cela permet en outre, avec une grande économie de moyens, de proposer des films potentiels. Le boîtier et la jaquette deviennent pour le spectateur des supports projectifs, des objets permettant de développer des imaginaires.
EM : On a en effet l’impression que Cosmos a été conçu comme l’espace d’une infinie possibilité de fictions. Un vidéo club borgésien en fait. Pourtant la vacuité (ou la vacance) des contenus nous rappelle également que la culture peut aussi être une affaire d’image, de casting et de bande-annonce, bref d’apparence, plutôt que de strictes productions ou « créations ». Cosmos ne serait-il pas destiné à fonctionner comme un reflet entre ces deux paramètres a priori opposés de la culture ?
BA : Sans trop faire le Warhol, je dirais que nous savons depuis un moment déjà qu’il n’y a rien derrière la surface des images. Alors, effectivement pourquoi y aurait-il quelque chose dans une boîte ou sous une jaquette ? Dans le travail, je m’efforce de «dealer» avec ce qu’on peut appeler «les formes culturelles dominantes». Ces formes m’intéressent justement parce qu’elles sont dominantes, et donc qu’elles nous façonnent et nous fascinent. Elles sont tellement puissantes et omniprésentes qu’elles se présentent le plus souvent comme la seule alternative possible, de même que le libéralisme se présente comme la seule forme de gouvernance envisageable. Debord disait qu’une des forces de la Société Spectaculaire était qu’elle parvenait à nous persuader qu’en elle «Tout ce qui arrive est bon et tout ce qui est bon arrive». Et ce qui me semble extrêmement remarquable, bien plus que l’omnipotence de ces formes culturelles, c’est le désir d’aliénation et de soumission au contrôle qui existe chez tellement d’individus de manière totalement intégrée. Alors, j’essaie de dépasser ce stade de la fascination et de jouer avec cette puissance. On en revient à cette volonté de proposer un imaginaire «déformaté» tout en y intégrant non seulement les signes mais aussi les modes de diffusion de ce qui aliène. Et si j’emploie le terme «dealer», c’est en assumant complètement les connotations négatives qu’on peut y associer : c’est un marché un peu pourri, mais auquel, je pense, l’art ne peut échapper s’il veut un tant soit peu avoir à faire avec le monde. Ne pas nier la vacuité et l’apparence mais les intégrer au travail me semble plus juste et plus risqué que de les ignorer ou les dédaigner. Il ne s’agit pas de dire que Loana c’est la fin du réel, ou à l’inverse d’affirmer que la seule forme d’art intéressante et valide aujourd’hui est la télé-réalité, mais plutôt de faire avec, au risque de la contradiction et de la corruption. Encore une fois tout est là, Weiner comme le vidéo-club tout naze en bas de chez moi qui ne propose que des blockbusters. Et encore une fois j’adore Weiner, ce qui n’empêche pas de louer et d’apprécier de gros mauvais films. Cela dit, je ne pense pas non plus que l’artiste ne soit qu’un manipulateur de signes, qu’un navigateur dans un océan de formes culturelles, mais plutôt que la notion de création est toujours à redéfinir et à réinventer. La notion Greenbergiene d’un art auto-réflexif, pur et autonome est heureusement caduque, et même si les formes créées par les artistes qui se sont coltiné les signes de la culture dominante sont régulièrement rattrapées et digérées par cette même culture, il me semble que c’est un combat qui vaut d’être mené. Et cela même, s’il existe une forme molle et pauvre de l’utilisation de signes issus de la culture populaire, et qui est déjà devenue un nouvel académisme. J’ai parfois une vision assez pessimiste de l’art, dans la mesure où il finit le plus souvent dévitalisé et édulcoré dans les Musées et les Lagarde et Michard. Je pense que rien ne résiste entièrement à l’arasement et à la transformation en signe ou en produit, mais que malgré tout, il faut continuer à travailler, tout simplement parce qu’on est vivant et qu’on est maintenant. Et bien sûr, dans Cosmos, il s’agit également de cela.
EM : Cette vision pessimiste et en même temps réaliste de l’art, n’est-elle pas au fond le signe d’une sorte d’hypermodernité symptomatique de l’esthétique contemporaine ? Je pense notamment à Mike Kelley. Évitant le mieux possible les genres, il construit une œuvre qui, au bout du compte, agit en un vaste cabinet de curiosités en évolution constante et infinie. «L’architecture gothique, le dessin animé, un bar de strip-tease, un film de Joseph Cornell et un film d’horreur de série B, ne sont pas par exemple des illustrations pseudo-trash pour faire genre, mais des éléments du monde réel qui l’entourent et qu’il décode» . L’idée de répétition, d’accumulation ou de série (presque exagérative) est une chose importante chez lui. N’est-ce pas là une forme d’attitude qui du coup dépasse la fascination ou le rejet du syndrome Loana, qui l’assimile sans complexe, ni tabou ?
BA : Kelley, comme beaucoup d’autres artistes de la côte Ouest, ne cesse d’analyser la production de signes culturels en tant que production idéologique. Il sonde la psyché américaine et en révèle les aspects les plus sombres. Qu’il travaille avec des peintures réalisées par des tueurs en série, des couvertures de livres de science-fiction des années 60 ou qu’il s’intéresse au phénomène des repressed memories, il s’agit pour lui de creuser le culturellement négligé et le refoulé. Donc bien évidemment, il décode, déconstruit et utilise «les éléments du monde réel qui l’entourent». Mais ce qui m’intéresse c’est quand même avant tout ce qu’il en fait , car cette utilisation d’éléments déjà-là est depuis longtemps inscrite dans l’histoire de l’art du XXème siècle. Et Kelley, comme tous les grands artistes est surtout un immense producteur de formes. Il y a chez lui une puissance plastique que j’admire et que j’envie, alliée à une volonté sans cesse renouvelée d’expérimenter et d’explorer de nouveaux champs. Je ne suis pas sûr que nous qui sommes en France, réalisions complètement ce que signifie le fait de travailler si près d’Hollywood. Loana et le Loft, à côté, c’est vraiment de la rigolade. Fresh Acconci , qu’il a réalisé avec Paul McCarthy, qui est une sorte de remake Hollywoodisé des performances des années 70 de Vito Acconci est un bon exemple de la puissance de cette influence. Cette vidéo est à la fois un hommage et un sacrilège, une sorte de «meurtre du père» totalement décomplexé et conscientisé, puisque toute la singularité et le pathos «acconcien» sont mis à distance grâce au choix de faire interpréter ces performances par des acteurs au physique de porno star, dans une villa au style typique de Los Angeles. Ici le déjà-là est double. Il y a déjà Acconci, inscrit et dans l’histoire de l’art et dans les références personnelles de Kelley et McCarthy, et il y a déjà l’industrie californienne du film porno avec ses corps lisses et standardisés et avec son décorum beauf nouveau riche, villa pseudo manoir et jacuzzi. Et il y a bien un mélange, une mise au même niveau, et une assimilation totale des éléments utilisés, qu’il s’agisse de formes artistiques inscrites dans l’histoire de l’art ou issues de la culture populaire la plus vulgaire. Et donc pour en revenir à Cosmos, c’est là aussi la question de ce qu’on peut faire avec ces éléments issus de sources multiples et hétérogènes qui m’importe. Comment composer avec ce qui est là, comment essayer de donner un semblant d’ordonnancement au chaos sans être autoritaire, sans entraver les possibles ? Comment également composer avec la spectacularisation de plus en plus grande de l’art ? Et surtout, comment proposer un imaginaire qui ne soit ni pure émanation narcissique du Moi de l’artiste, ni assujettissement complet aux codes dominants.
EM : Il existe d’autres pièces au titre de Cosmos dans votre travail. Ont-elles un lien formel ou conceptuel entre elles ? Peut-on les considérer comme une série, ou là aussi, comme des éléments totalement hétérogènes ?
BA : A part à la télé et en BD, je n’aime pas trop les séries. En art, elles sont le plus souvent strictement déclinatoires et mercantiles, sauf quand elles sont totalement intégrées au travail, comme chez Warhol bien sûr. J’aime bien une certaine sérialité pop, minimale, ou conceptuelle quand elle met à mal l’autoritarisme de l’Œuvre Unique, qui est une autre forme de mercantilisme. Ce qu’il y a par contre de bien dans les séries télé ou dans les BD, voire en littérature, c’est qu’elles permettent de retrouver des personnages auxquels on est attaché, surtout lorsqu’elles autorisent des développements narratifs que ne permettent pas des films ou des albums complets. J’aime beaucoup cette addiction à des séries TV qui s’étendent sur plusieurs années, où l’on vieillit avec les personnages, où l’on s’attache à eux, même si la qualité baisse. En ce qui concerne Cosmos, j’en ai réalisé quatre qui n’ont pas plus de liens entre elles que celui dont nous parlons ici et les autres pièces de mon travail. Donc, il ne s’agit absolument pas d’une série. Les trois premiers ont été faits à l’occasion d’une exposition organisée par François Piron à Montreuil . Il avait invité les quatre mêmes artistes à exposer trois fois, trois mois consécutifs dans un même lieu. Pour la première exposition, j’avais réalisé une grosse sculpture pendue au plafond, une vague forme de tête rose à l’envers, sans yeux ni bouche ni oreille, juste un gros nez à la Achille Talon, qui tournait lentement sur elle même en chantonnant la Lambada. Je l’ai appelée Cosmos un peu au hasard, un peu parce que la découverte récente du roman de Gombrowicz avait été un choc, et aussi parce que la forme de cette sculpture – et sa rotation et sa mélodie hit mondiale – avait pour moi quelque chose de planétaire. Ensuite, je savais qu’il allait y avoir encore deux parties à cette exposition, et j’ai juste décidé d’appeler les deux pièces suivantes du même nom que la première, estimant que cela allait créer un lien suffisant entre trois pièces dont je savais déjà qu’elles n’auraient formellement pas grand chose à voir entre elles. Une des autres choses qui m’intéressait et m’amusait était la légère confusion que ce titre commun créait. Je suis assez fasciné par le pouvoir qu’ont les mots sur les choses, et appeler trois objets par le même nom revient à rendre en partie semblables des choses différentes, et donc à créer en même temps de l’ordre et du désordre. Quant au quatrième Cosmos, une porte automatique de supermarché qui s’ouvre et se ferme de manière totalement aléatoire, et qui était montrée à l’ARC en même temps que le troisième Cosmos des expositions de François Piron à Montreuil, je l’ai également appelée ainsi parce que je n’avais pas de meilleure idée, et aussi parce que cela cassait justement la cohésion des trois précédentes.
EM : Votre travail se construit régulièrement sur des paradoxes ou des légères «confusions». Les choses et les objets présentés semblent très évidents au premier abord. Puis très rapidement, des petits mécanismes aléatoires (ou du moins accidentels) les pervertissent dans leur propre fonctionnement afin justement de confronter ce qu’ils peuvent produire de «hasardeux». Rejoint-on ici la tentative d’organiser le chaos de Gombrowicz évoquée plus haut ? Ou la logique du «I would prefer not to» de Bartleby ? Ou doit-on en conclure que cette inclinaison à l’incertitude est une manière d’interroger les facultés d’organisation du réel et du possible ?
BA : L’incertitude est avant tout une forme de rapport au monde (je ne trouve pas, je cherche !). Une forme non autoritaire, non dogmatique et qui effectivement, laisse les champs des possibles à une ouverture maximale. L’incertitude n’est pas pour moi un aveu de faiblesse ou de retrait, contrairement à une analyse qui a souvent été faite de mon travail, des actions-peu par exemple, mais simplement le résultat du choix que j’ai fait d’expérimenter plutôt que d’assurer. Ce choix implique déséquilibre et tâtonnement, ainsi que des contradictions internes. D’où par exemple Je ne veux tout, phrase écrite en diodes lumineuses sur un caisson de bois , une espèce de Jenny Holzer bricolé, et qui pour moi renvoie moins à Bartleby qu’à un désir «oxymoresque» de totalité : fin des utopies mais désir de néanmoins proposer d’autres imaginaires que ceux dominants. Les artistes qui m’intéressent le plus sont ceux qui travaillent les formats, les signes et les codes tout en aimant réellement les éléments qu’ils utilisent. Lorsque David Lynch réalise Twin Peaks c’est aussi parce qu’il aime les soap-operas. Lorsque Jim Shaw expose les Thrift Store Paintings, c’est aussi parce qu’il les trouve belles. Et ce que vous appelez confusion ou pervertissement du fonctionnement des travaux vient sûrement de cette considération esthétique que j’ai pour des formes dont je réprouve l’idéologie. Comme dit Thomas Hirschhorn en parlant de l’Affiche Rouge, réalisée par les nazis pour discréditer les résistants communistes : «Je ne comprends pas ! Je trouve cette affiche belle ! Aidez-moi !». Moi je trouve très beaux les plans des pubs où l’on voit du liquide couler au ralenti en rebondissant sur les parois des verres. Alors je tourne en 35 mm, à 150 images images/secondes, Un monde qui s’accorde à nos désirs, où un verre vide se remplit lentement d’une coulée de lait, jusqu’à que celle-ci déborde et se répande en flaque. C’est une pub prolongée et sans objet, qui va simplement quelques secondes plus loin que ce que l’on voit habituellement (le cut avant le trop plein). Une forme de dilatation temporelle formelle et érotique.