DAMP — 2022
DAMP, Galerie Allen, du 04.06.2022 au 23.07.2022
DAMP (Display-Algorithme-Modélisation Procédurale) est un système de production basé sur un algorithme générant de manière aléatoire et automatisée un catalogue de formes numériques aux variations infinies, les Displays. Œuvre numérique à part entière, mais potentiellement traductible en différents formats, comme les sculptures présentées ici, chaque Display est unique et est composé par l’algorithme qui choisit et répartit aléatoirement plusieurs items sur une table préalablement générée. Une matière grumeleuse noire recouvre et unifie les Display, tel des objets pétrifiés par des cendres volcaniques. Voir le site dédié.
DAMP, par François Aubart, mai 2022.
Boris m’avait donné rendez-vous dans un café à Jaurès, à côté du canal de l’Ourcq, pour me présenter son projet DAMP (Display-Algorithme-Modélisation Procédurale). Lorsque nous nous sommes attablés, comme souvent dans ce genre de situation, nous avons d’abord parlé d’autre chose. Je ne sais plus pourquoi notre conversation s’est dirigée sur ce que nous ferions aujourd’hui si certains évènements dans nos vies s’étaient déroulés différemment. Si nous avions étudié dans un autre établissement, si nous avions vécu dans une autre ville ou si nous n’avions pas rencontré telles ou telles personnes. C’était probablement une façon comme une autre d’en savoir plus l’un sur l’autre. Nous nous connaissons peu avec Boris.
Puis, il a ouvert son ordinateur pour me montrer le site de DAMP en m’expliquant avoir modélisé des éléments de tables, des plateaux, des pieds, de formes et de dimensions variées, ainsi que plus de 500 objets, des œuvres de lui ou d’autres artistes et des objets dont les scans 3D sont mis en ligne par certains musées. Un algorithme choisit parmi ces éléments pour composer une table sur laquelle il dispose différents objets. Il en résulte la représentation numérique de ce que Boris appelle un Display, qu’il peut ensuite réaliser en sculpture. Sur le site de DAMP on peut acheter deux types d’œuvre, l’une numérique, l’autre physique. Le même Display peut être acquis sous la forme d’un NFT contenant des images et une animation 3D ou en tant que sculpture, forme physique de ces représentations. Boris a souri en m’expliquant que pour l’achat d’une sculpture le NFT correspondant est offert en cadeau, puis il m’a dit que dans son travail il y a beaucoup d’objets qui naviguent ainsi entre deux états. Des jeux dont j’ignore les règles, exposé en 2015 à la Biennale de Venise, était composé d’objets présentés derrière des vitrines, à côté on pouvait voir des vidéos de gens occupés à manipuler ces mêmes objets dans des jeux, des actions et des mouvements inexpliqués. Sous vitrine comme utilisés, leurs fonctions restent mystérieuses. Ce sont, m’explique Boris, des banques de forme qui engendrent des actions et des gestes toujours différents. Alors que je lui fais remarquer que ces idées de banque de forme, de choix et de prélèvement animent également DAMP, il me précise qu’il a décidé de créer un algorithme pour composer les Display parce que cela permet d’en faire rapidement un grand nombre, mais qu’il est possible d’agencer des éléments soi-même. D’ailleurs, l’un de ceux exposés à la Galerie Allen sera une composition de Joseph Allen.
Je crois bien que Boris allait me dire quelque chose d’important à propos d’assemblage aléatoires et presque infinis lorsque je suis allé aux toilettes, je n’arrivais plus à me retenir. Une fois soulagé, en me lavant les mains, je repensais à l’exposition Cosmos de Boris au Palais de Tokyo en 2002 que j’avais vue par hasard. Alors étudiants, j’étais de passage à Paris. J’avais trouvé très amusante cette collection de boîtiers de cassettes VHS dont les images, le graphisme et les images des jaquettes évoquaient des films appartenant à des registres aussi différents qu’inattendus, tels qu’un polard philosophique, un Space Opéra expérimental ou encore une comédie pop sur la fonction sociale de l’art, toutes étant des adaptations cinématographiques de Cosmos de Witold Gombrowicz. À l’époque, je ne connaissais pas ce roman et n’avait probablement pas été sensible au fait qu’il s’agissait pour Boris de donner une forme cohérente au chaos. En tout cas, c’est parce que je pensais à ces films qui auraient pu exister qu’en retrouvant Boris je lui parlais d’un autre de ses projets matérialisant des fictions, News from Friends. Depuis 2016, il envoie aux lieux accueillant ses expositions des cartes postales signées d’artistes disparu·es qui s’excusent de ne pas pouvoir venir au vernissage. C’est, m’a-t-il expliqué, un moyen d’imaginer des signes envoyés par des personnes importantes pour lui. Il les élabore méticuleusement, cherchant sur des sites spécialisés des cartes postales dont les images ont des liens plus ou moins directs, plus ou moins explicites, avec l’œuvre ou la vie de l’artiste qui lui écrit. Pour l’exposition de Boris à la galerie Allen en 2016 Mike Kelley lui envoyait une représentation de la fontaine à souhait qu’il a reproduit pour réaliser une de ses œuvres, une sorte de tas d’une matière repoussante. Quand je suivais les séminaires de Jean-Philippe Antoine, celui-ci associait ce motif informe, récurrent dans l’œuvre de Kelley, aux organismes extraterrestres des films de science-fiction des années 1950 qui passionnaient l’artiste. Je pensais soudain que la surface gélatineuse du Blob (1958) ou celle qui recouvre le héros dans Le Pionnier de l’espace (1959), filmée en noir et blanc, ne sont pas sans rappeler le revêtement noir et irrégulier des DAMP qui amalgame les objets avec la table sur lesquels ils sont posés. Boris m’expliquait alors que cette pétrification peut évoquer un scénario de science-fiction dans laquelle des artefacts anciens auraient, au fil du temps, été recouverts de suie. Il me semble aussi que leur étrangeté est renforcée par leur apparition dans deux environnements, sur un écran d’ordinateur et dans un espace d’exposition. À propos de ce deuxième état, Boris m’explique qu’il recouvre ses sculptures de papier-mâché avant de les peindre. Ces aspérités sont donc minutieusement élaborées à la main pour évoquer une surface 3D générée par un algorithme.
Après ce rendez-vous, je me promenais le long du canal, observant la chorégraphie des cyclistes et des piétons parmi lesquels j’aperçus un homme qui semblait porter le masque de son propre visage. J’avais besoin de temps pour réfléchir aux hasards qui avaient conduit à cette rencontre avec Boris et à la façon dont la fiction surgit dans son œuvre à partir de faits concrets. Je me suis alors demandé ce qu’on penserait dans futur du fait d’offrir des NFT pour l’achat d’une sculpture.
DAMP, Galerie Allen, 04.06.2022 > 23.07.2022
DAMP (Display-Algorithm-Procedural Modelling) is a production system based on an algorithm that randomly and automatically generates a catalogue of digital forms with infinite variations, the Displays. A digital work in its own right, but potentially translatable into different formats, like the sculptures presented here, each Display is unique and is composed by the algorithm which randomly selects and distributes several items on a previously generated table. A black lumpy material covers and unifies the Displays, like objects petrified by volcanic ash. See the dedicated website.
DAMP, by François Aubart, may 2022.
Translated by Flora Hibberd
Boris proposed to meet me in a café at Jaurès, by the Canal de l’Ourcq, to present his project DAMP, Display-Algorithm-Procedural Modelling. When we sat down, as often happens in this kind of situation, the conversation began elsewhere. I can’t recall why it moved towards what we would be doing today if certain events in our lives had turned out differently. If we had studied in different schools, lived in different cities, not met this or that person. I guess it was just another way of getting to know each other. He and I don’t know each other well.
Boris then opened his laptop to show me the DAMP website, explaining how he had modelled elements of tables, planes, legs of various shapes and sizes, as well as models of over 500 objects, including his own works and those of other artists, and others whose 3D scans had been made available online by museums. An algorithm chooses from among this array to construct a table on which it arranges different objects. The result is a digital representation of what Boris calls a Display, which he can then render as sculpture. From the DAMP website, you can buy two types of work, one digital, the other physical. The same Display may be purchased as an NFT containing images and a 3D animation, or as sculpture, the material form of these representations. Boris smiled as he explained that with the purchase of a sculpture the corresponding NFT is offered as a gift, telling me how in his work there are many objects that navigate in this way between the two states. Des jeux dont j’ignore les règles/Games whose rules I ignore, exhibited at the 2015 Venice Biennale, presents objects in glass cabinets, alongside videos of people manipulating the same objects in games, with unexplained actions and movements. The objects’ functions remain as mysterious in use as they are behind glass. Boris describes them as banks of form that generate ever-different actions and gestures. When I point out that these ideas of form banks, choice and appropriation could equally be said to animate DAMP, he specifies that, while he created an algorithm to construct the Displays because it allows for rapid creation, it is also possible to arrange elements oneself. In fact, a composition put together by Joseph Allen will be among the Displays exhibited at Galerie Allen.
I think Boris was about to say something important about his random and almost infinitely varied constructions when, unable to hold on any longer, I left to go to the bathroom. Afterwards, washing my hands, I thought back to Boris’ 2002 exhibition Cosmos at the Palais de Tokyo, which, as a student passing through Paris, I had stumbled on by chance. I had found it rather amusing, this collection of VHS cases whose images, graphics and cover designs evoked films of varied and unexpected registers: the philosophical thriller, the experimental space opera, and even a pop comedy on the social function of art, all cinematic adaptations of Witold Gombrowicz’s Cosmos.
I hadn’t heard of this novel then, and doubtless didn’t appreciate the fact that for Boris the work was about trying to give coherent form to chaos. In any case, it was the memory of these films-that-never-were that led me, on returning to Boris, to bring up another of his projects that materialise fictions, News from Friends. Since 2016, he has sent post- cards to spaces hosting his exhibitions, signed by dead artists, excusing themselves for not being able to make it to the opening. It is, he explains, a way of imagining the signs people important to him might send. Meticulously elaborate, he scours online postcard dealers for images that contain links direct and indirect, explicit and implicit, with the life and work of the artist writing to him. For his 2016 exhibition at the Galerie Allen, Mike Kelley sent an image of a wishing well, the same one that Kelley reproduced in one of his works as a mound of repulsive matter. According to Jean-Philippe Antoine’s seminars, this shapeless motif, recurrent in the artist’s work, can be associated with the alien beings
of the 1950s science fiction films that fascinated him. Suddenly, I thought of the gelatinous matter of The Blob (1958) or the substance that covers up the hero of First Man into Space (1959,) filmed in black and white, recalling the black, irregular coating of Boris’ DAMPs, that amalgamates his objects with their tables. According to Boris, this petrification might bring to mind science-fiction fantasy in which ancient artefacts, as time passes, are covered with soot. It seems also that their strangeness is compounded by their appearance in two environments: computer screen and exhibition space. Concerning the latter state, Boris tells me he covers his sculptures with papier-mâché before painting them. Their rough- ness, then, is in fact meticulously hand made, to evoke the kind of 3D surface generated by an algorithm.
After our meeting, I walked along the canal, observing the choreography of cyclists and pedestrians, among whom I made out a man who seemed to be wearing a mask bearing the image of his own face. I felt I needed time to think about the serendipities that had led to this encounter with Boris, and the way in which his work allows fiction to emerge from the concrete. I wondered, then, what we would make in the future of the idea of offering NFTs with the purchase of sculpture.