Salut

Y COMME PARENTHÈSE INCONSISTANTE ET CAPRICIEUSE ENTRE X ET Z

Éric Mangion, 2018


Ce texte a été rédigé pour le livre ABC B.A. publié en 2018 par Dent-de-Leone et distribué par Les presses du réel. Cette monographie est composée d’un recueil de textes et d’essais critiques prenant la forme d’un d’abécédaire. À partir de mots clés, douze critiques d’art, curateurs ou écrivains ont rédigé un texte commentant le travail de Boris Achour. L’ouvrage comprend également un ensemble iconographique offrant une vue d’ensemble des travaux de l’artiste.


NB : les citations entre guillemets sont de Boris Achour et sont extraites d’entretiens réalisés avec Sophie Lapalu, François Piron et Éric Mangion. Les autres passages sont d’Éric Mangion.

« Ce qui m’intéresse dans la notion de format et d’adaptation, c’est la plasticité, la transposition, le déplacement qui s’opère entre des champs séparés, les rencontres que cela permet et produit. Il y a avec Conatus une double adaptation : tout d’abord celle d’un concept philosophique en œuvre, puisqu’il ne s’agit bien évidemment pas d’illustrer ce concept, mais de faire en sorte que l’œuvre elle-même soit désirante, générée par un désir et génératrice de désir et de joie. Mais c’est également l’adaptation du format de la série en celui d’exposition. De la même manière que Cosmos (le vidéoclub) était l’adaptation d’un roman en sculpture (au sens où le cinéma adapte des romans en film), Conatus est l’adaptation d’un concept philosophique en œuvres et en expositions sous le format d’une série. Conatus est peut-être essentiellement une machine à produire, un dispositif, me permettant de générer des formes (les œuvres) appartenant à des familles de formes (des séries [mobiles, fleurs, coraux…]) incluses dans d’autres formes (les expositions), toutes ces formes étant désormais reliées entre elles par des renvois, des échos, des articulations qui se développent d’expositions en expositions, d’œuvres en œuvres. »

« C’est uniquement dans le rapport que ces choses existent, et c’est uniquement dans un espace assez conséquent que ce rapport peut exister. Et effectivement, souvent, les pièces et les expositions entraînent de nouvelles envies, de nouvelles interrogations ou de nouvelles idées qui se déploieront plus tard. Voire si le temps de gestation est assez long, qui se déploieront à l’intérieur d’un projet, comme cela a été le cas pour Jouer avec des choses mortes. »

« Je ne sais pas si c’est bien une histoire », disait Witold Gombrowicz au sujet de son livre Cosmos, « nos actions sont d’abord inconsistantes et capricieuses, comme des criquets, et c’est tout doucement, au fur et à mesure qu’on y revient, qu’elles revêtent un caractère conclusif, elles saisissent comme avec des tenailles, elles ne lâchent plus – donc que peut-on savoir ? ».

Entre le lundi 13 et le vendredi 17 octobre 2003, de 10 h à 18 h, cinq personnes sont invitées par Boris Achour à occuper la scène des Laboratoires d’Aubervilliers. Elles disposent de ce laps de temps pour s’approprier un certain nombre d’objets au milieu desquels évolueront plus tard les spectateurs : des sculptures d’origines, de qualités et d’échelles variées – des sacs d’or en résine, trois barrières en bois, une grande saucisse rose, une construction à facettes, un pupitre tiré d’un plateau de jeu télévisé ou encore des fleurs artificielles. Petit à petit, une chorégraphie naît entre les objets et les corps, des complicités apparaissent au fil des heures…

Lemmy passe l’essentiel de ses loisirs à lire des guides de voyage sans jamais voyager. Il parle en permanence de pays ou de villes comme s’il en revenait. Ses périodes préférées de l’année sont les retours de vacances. Il écume alors les tables de la cantine pour parler des voyages de ses collègues de bureau. Il en sait plus sur les régions visitées qu’un vrai routard. Certains viennent même le consulter sur la pertinence de leur future destination. Ses meilleurs amis le poussent à contacter des producteurs de télévision, non pas pour participer à des jeux de connaissance, mais pour être invité en pantalon de flanelle sur le plateau des émissions de grand déballage sociologique. Il témoignerait de son expérience de voyageur immobile. Nos choix d’existence. Comment réinventer sa vie. J’ai décidé de faire le tour du monde. Je voyage dans ma tête. Je connais le monde sans bouger. Je lis pour l’aventure. Il recevrait des courriers de personnes qui ont la même passion que lui, des propositions de conférences, des offres promotionnelles de voyage, des contrats d’embauche d’éditeurs afin de corriger les erreurs glissées dans les guides.

Un projet : voilà ce qu’il faut ! Un projet qui sorte de l’ordinaire ; ne pas être comme les autres, un truc différent. Une coquetterie en somme. Une entreprise suffisamment discrète pour pouvoir la mener en silence, mais qui puisse se faire connaître par un biais ou un autre, qu’on sache qu’elle est menée en silence. Un projet non médiatique qui suscite malgré tout un peu d’admiration, un minimum de respect. Quelque chose qui s’adapte à la vie quotidienne, au temps haché et entrecoupé, une demi-heure par-ci, deux heures par-là, vingt minutes encore par-là, le tout dans le bruit et dans le bouillonnement d’une vie où règne la peur du vide. Un projet assez excitant pour être accaparant, pas assez pour devenir envahissant, partant du principe que les pires expériences sont celles qui deviennent obsessionnelles, car plus d’un Lemmy a fini par se tirer une balle dans la tête.

Projets à ne surtout pas réaliser : le modélisme ou la philatélie ou la numismatique ou le rock acrobatique ou le jardinage et le bricolage ou le piano ou le dessin ou la chorale ou le cerf-volant ou le taï-chi ou le bouddhisme et le sanscrit ou le coaching ou le spiritisme ou le droit pénal ou le parapente ou la plongée sous-marine ou le bridge ou la fabrication d’huile d’olive ou la cuisine à la vapeur ou la chirurgie esthétique ou la bourse, le tiercé et le loto ou l’aquagym ou la décoration d’intérieur ou les collections de nounours ou de peluches ou le tuning ou le football américain ou l’escalade ou la pêche à la ligne ou la chasse et les vacances en famille. Se demander pourquoi on entreprend une chose plutôt qu’une autre.